Le P. Dominique LANG, assomptionniste, rappelle l’histoire de François et l’influence de sa spiritualité sur les préoccupations du pape actuel, mais aussi de ses prédécesseurs…

Sophie de Villeneuve : Pourquoi dit-on parfois que saint François d’Assise est le premier saint écologiste ?
D. L. : C’est Jean-Paul II qui le premier a eu cette audace. Archevêque de Cracovie dans les années difficiles où Solidarnosc s’opposait au régime communiste polonais, Karol WOJTYLA était très proche d’une branche de la famille franciscaine, les capucins, qui étaient très engagés dans les combats de l’époque, aux côtés de Solidarnosc. Avec les droits sociaux, une de leurs préoccupations portait sur l’état des paysages polonais, sur l’état de la Vistule, complètement polluée par l’industrie polonaise, sur l’état dans lequel le régime communiste laissait l’environnement de leur pays. Quand Karol WOJTYLA est devenu pape, en 1978, il est allé faire un pèlerinage à Assise. Six mois plus tard, il a publié une bulle dans laquelle il déclarait François d’Assise patron des écologistes.


On connaît bien sûr le fameux cantique de François, dans lequel il salue le soleil, la terre, les animaux… Le lien à la nature fait-il partie intégrante de sa spiritualité ?
D. L. : Il serait évidemment anachronique de dire que François était « écologiste », puisque ce mot date du XIXe siècle. Mais je crois que sa conversion personnelle l’a fait sortir du milieu de ses parents, du monde marchand, de la « petite bourgeoisie » de sa petite ville italienne. Quand il prend conscience du non-sens dans lequel il vit, manger, boire, consommer sans savoir où il va, il décide de reprendre en main sa foi chrétienne et d’être cohérent. Alors qu’il vient de quitter ses habits de bourgeois, la première rencontre qu’il fait sur sa route est celle d’un lépreux. Il a une hésitation : va-t-il oser le prendre dans ses bras ? Il le fait, et se sent ainsi libéré de toute peur. Au fur et à mesure qu’il s’engage dans une pauvreté radicale, assumée, il découvre toute une part de la société oubliée : les pauvres, les lépreux, les enfants, dont il faut prendre soin. Et que dans cette part oubliée, il y a aussi le reste de la Création, que l’on utilise, que l’on exploite, comme les bêtes de somme qui sont aussi des créatures de Dieu. On voit alors François commencer à prêcher aux oiseaux, aux poissons, au loup de Gubbio, etc. Cela nous paraît aujourd’hui romantique, mais c’était un acte prophétique.


Prêcher à la terre entière, et non seulement aux hommes, c’est être écologiste ?
D. L. : La foi chrétienne dit que Dieu ne vient pas simplement sauver l’humanité, mais toute sa Création. Et c’est François d’Assise qui nous l’a rappelé.


Le pape actuel a pris le nom de François d’Assise. Cela indique-t-il un programme ?
D. L. : Oui. Le pape François raconte lui-même que pendant le conclave, alors que le dépouillement des votes commençait à indiquer que Jorge Bergoglio serait élu, le cardinal assis à sa droite, un franciscain brésilien, lui tapota le coude et lui dit : « N’oublie pas les pauvres ». Ce qui lui a donné l’idée de prendre le nom de François.


Mais oublier les pauvres et oublier la Création, est-ce la même chose ?
D. L. : Oui, car avant François, les papes ont fait tout un travail préparatoire, notamment Benoît XVI avec l’encyclique Caritas in veritate sur les questions sociales. Benoît XVI dit déjà que l’on ne peut pas prendre soin des pauvres si l’on ne prend pas soin de la Création, et qu’inversement on ne peut pas s’occuper de la nature si l’on ne prend pas soin des plus pauvres. Le « tout est lié » de François était déjà annoncé. Je pense que le François a été appelé à devenir pape pour mettre en œuvre un certain nombre d’intuitions qui s’accumulaient mais que l’on n’arrivait pas à traduire pastoralement. Aujourd’hui, ce pape nous met au travail.


L’encyclique Laudato Si’ nous rappelle aussi la spiritualité franciscaine.
D. L. : Bien sûr, et très fortement. Le titre reprend le début du cantique aux créatures de François. Quand François d’Assise dit ce cantique, il est pratiquement à la fin de sa vie. Il est malade, il voit la mort arriver. Il demande à ses frères de le sortir de la cabane où il était enfermé parce que l’état de ses yeux lui rendait la lumière insupportable. Il proclame alors ce poème qui est une grande annonce de réconciliation avec la Création. (…)

Peut-on dire que dans ce chant, il divinise la Création ?
D. L. : Il ne divinise pas, il fraternise. Il appelle frères et sœurs des créatures que l’on considérait jusque-là comme négligeables. Ce sont des créatures, nous dit-il, qui ont la même vie que nous, avec une autre dignité, une autre place, une autre mission, mais qui sont appelées au salut comme le reste de la Création.

Certains se sont scandalisés que l’on présente au pape François, au cours du Synode sur l’Amazonie, des statuettes incas représentant la Terre-Mère. Exposées à Rome, elles ont été volées et jetées dans le Tibre, et l’on a accusé le pape de réveiller les idoles. Que penser de telles polémiques ?
D. L. : Je pense que c’est typique des réseaux sociaux modernes, qui montent en épingle des choses sans importance. Ces objets ont été apportés au début du synode par les représentants indigènes d’Amérique du Sud, qui les ont présentés comme des éléments de leur culture, et les ont accompagnés de portraits d’hommes et de femmes morts pour défendre leur terre, des jésuites, des chrétiens martyrs de ce combat-là. On a chanté et prié autour de ces objets, sans le moindre signe de syncrétisme religieux, et sans que soit évoqué le fait que ces statuettes représentaient une divinité. Bien sûr, elles proviennent du fonds culturel indigènes et ressemblent à la Pachamama des Incas, mais elles représentent des femmes enceintes, à genoux. Et l’on a posé dans les jardins du Vatican deux de ces statuettes, face à face, pour évoquer la Visitation. Du coup, certains milieux conservateurs, voulant montrer que le pape François est un idolâtre trop à gauche qui veut changer la foi, ont saisi l’opportunité et crié au scandale.


Être écologiste, ce n’est pas faire du syncrétisme…
D. L. :
Pas du tout. Il y a bien sûr toutes sortes d’écologies. Mais si l’on est chrétien et écologiste, l’écologie ne remplace pas la foi chrétienne. Elle vient l’enrichir, elle rappelle certains fondamentaux de l’existence biologique, relationnelle, sociale, environnementale, culturelle… François insiste beaucoup sur toutes les dimensions d’une écologie qui n’est pas seulement humaine ou environnementale, mais qui nous oblige à vivre autrement dans notre maison commune. Laquelle n’est pas faite que d’hommes et de femmes, que de créatures animales ou végétales, mais d’un ensemble de relations qui nous permettent d’être pleinement des êtres humains. Humains qui avons reçu le salut par le Christ, nous avons une mission particulière : être les gardiens de toute cette Création. Une des premières homélies du pape François, le jour de la saint Joseph le 19 mars, saluait Joseph comme le gardien de Marie et le gardien de la Création.


Pour un chrétien, que veut dire vivre de façon écologique ?
D. L. :
Il y a beaucoup de manières de faire, suivant nos sensibilités, nos générations. On ne s’y engage pas de la même façon si l’on a 25 ou 60 ans. On n’a pas le même rapport à la consommation, à la vie politique ou économique. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait des écologies différentes. Je dirais que nous avons tous une responsabilité dans le renouveau des générations qui nous suivent. Or très souvent dans les collectifs, les générations qui sont en responsabilité ont un peu peur des phénomènes prophétiques ou de contestation qui arrivent, et passent leur temps à étouffer le renouveau qui se produit à la base. Mais il y a là un processus, et le pape François insiste beaucoup sur cette notion de processus, dans lequel chaque génération pourrait reconnaître qu’elle a essayé, et comprenne que la génération suivante puisse essayer autrement, tout en la soutenant.

Propos recueillis par Sophie de Villeneuve, dans l’émission Mille questions à la foi sur Radio Notre-Dame., le 26/02/2020